Nouvelles technologies et Justice

Ce groupe de travail s’intéresse à l’essor du numérique dans la sphère juridique, via l’analyse du développement des plateformes, des legaltechs, de la blockchain et de l’intelligence artificielle dans le judiciaire. Plusieurs questions se posent quant à cette émergence des nouvelles technologies dans le monde de la justice. Dans quelle mesure cette émergence marque-t-elle la fin du monopole régalien de la justice ? Ce développement doit-il s’accompagner d’une régulation publique ? Ce développement est-il une source d’amélioration du niveau d’information des justiciables et ainsi faciliter leur accès à la justice ? De manière plus générale, il convient ainsi de s’interroger sur la place que ces technologies pourraient/devraient prendre dans la justice du 21e siècle (dans le cadre de la coexistence inévitable d’une justice publique et d’une justice privée). Ces questions étant fondamentalement à la frontière de plusieurs disciplines, cet axe mobilise des chercheurs en droit, économie, sciences politiques, philosophie et informatique.

Coordination

Amélie Favreau est professeure (PU) en droit privé à l’Université Grenoble Alpes, chercheuse au Centre de recherches juridiques (CRJ EA 1965), et codirectrice de la Fédération de recherche INNOVACS.

Yannick Gabuthy est professeur (PU) en économie à l’Université de Lorraine, chercheur au Bureau d’économie théorique et appliquée (BETA UMR 7522).

Activités

Séminaire Nouvelles technologies et Justice

Des webinaires mensuels sont organisés en visioconférence depuis 2021. Merci de vous inscrire.

Responsabilité et intelligence artificielle : tour d’horizon des enjeux économiques

Avec Julien Jacob (BETA, Université de Strasbourg), 16 avril 2024, 12h30.

L’intelligence artificielle (IA) se développe dans de nombreux domaines d’activité (industrie, santé, finance, transports, etc.). En cela, elle est porteuse de risques très divers, dont la réalisation peut provoquer des dommages financiers, éthiques ou corporels. Afin de prévenir de tels risques, des réglementations sont à l’étude. Mais une fois les dommages survenus, seule la responsabilité juridique peut permettre de dédommager les victimes. Au-delà de la question de la réparation, l’économiste voit aussi en la responsabilité un outil d’incitation, prenant pleinement part à une politique de gestion du risque. 

Ceci étant, l’IA est accompagnée de spécificités qui peuvent être autant d’entraves à l’application de la responsabilité civile. Synthétisant des travaux économiques et juridiques montrant les diverses imbrications existantes entre responsabilité et IA, nous proposerons un tour d’horizon des principaux enjeux et difficultés apportés par l’émergence de l’IA, en matière de gestion de risque par la responsabilité. Enfin, nous esquisserons des pistes de recherche pour tenter d’y apporter des solutions.

Complexité, biais des consommateurs et réduction stratégique de l’intensité concurrentielle

Avec Clara Pascal (Université Paris Panthéon-Assas, CRED) et Frédéric Marty (CNRS, GREDEG UMR 7321, CNRS et Université Côte d’Azur), 22 janvier 2024, 12h30.

La transparence du marché apparaît traditionnellement comme un facteur facilitant l’émergence d’équilibre collusifs. Les entreprises peuvent d’ailleurs mettre en œuvre des stratégies actives visant à créer une transparence artificielle, stratégies pouvant être sanctionnées par les règles de concurrence. Une littérature a été développée sur l’utilisation de chaînes de blocs (en l’occurrence privées) pour renforcer la transparence entre entreprises tout en conservant une opacité significative pour les tiers, notamment les autorités de supervision de la concurrence.

Notre propos s’inscrit dans cette littérature mais considère non pas les chaînes de bloc mais les outils de pricing algorithmiques. Dans quelle mesure ces derniers peuvent-ils contribuer à l’atteinte d’équilibres collusifs, sans émission de signaux interprétables par les tiers ni création de transparence artificielle ? En d’autres termes, des prix non coordonnés, dynamiques, personnalisés et non foisonnants peuvent-ils contribuer à réduire la concurrence entre des opérateurs interagissant dans des marchés oligopolistiques ?

Il s’agit dans le cadre de notre intervention de montrer comment la complexité des schémas de prix sur les marchés numériques pourrait être lue sous le prisme d’une réduction de la pression concurrentielle entre opérateurs. Si la complexité peut naturellement procéder du jeu des algorithmes, elle peut également avoir pour conséquence de réduire la propension des consommateurs à opter pour des offres concurrentes au regard de biais comportementaux tenant à l’aversion aux pertes ou au biais de statu quo.

Nous nous proposons donc de considérer la possibilité de combiner non-coordination des prix et stratégie collusive au regard d’une hypothèse de brouillage volontaire des signaux de prix, de nous interroger sur la possibilité de dirimer entre complexité naturelle du pricing algorithmique et mise en œuvre de stratégies anticoncurrentielles et enfin de nous interroger sur les remèdes concurrentiels qui pourraient être adoptés.

Backup of Lost in translation

Avec Burkhard Schafer (Professor of Computational Legal Theory, SCRIPT Centre for IT and IP Law, University of Edinburgh, School of Law).

The paper aims to start an exchange of ideas between those interested in legal technology and its regulation, the field of legal translation studies, and the international law doctrines on the interpretation of multi-lingual treatises. If the process of formalising law as a analogous to a translation, we can start to explore if and under what conditions a formal model of a law should be treated as a “deemed authoritative” version of the law it models.

Les enjeux et les opportunités juridiques de l’activité judiciaire dans les métavers


Séance en visioconférence avec Iony Randrianirina (Centre de recherches juridiques, Université Grenoble Alpes), 25 mai 2023, 12h30 à 14h.

Le premier procès virtuel dans un métavers a été tenue par un tribunal colombien le 15 février 2023. Pour cela, le tribunal administratif a utilisé la plateforme Horizon Workrooms de Meta et a retransmis le déroulement de l’audience sur YouTube. Un juge brésilien a également proposé une séance de conciliation dans un métavers. Le 26 mars 2022, l’université d’Ottawa avait organisé un concours de plaidoirie dans le métavers JusTechnorth, et le 23 septembre 2022, en Chine, un procès relatif à un accident de la circulation a été reconstitué dans un métavers. Parallèlement à cet engouement pour les procès tenus en réalité virtuelle ou en réalité augmentée, plusieurs avocats ont créé des cabinets de consultation dans des métavers. Ainsi, en 2022, le cabinet d’avocats allemand Gleiss Lutz a ouvert le premier cabinet d’avocats virtuel sur Decentraland. Si les métavers offrent de réelles opportunités aux juridictions pour y tenir de vraies audiences, ces initiatives se justifient-elles légalement ? À l’heure où la loi est encore muette sur ces questions, il s’avère utile d’identifier les risques juridiques de l’usage de ces technologies nouvelles liées au web 3.0. Quels sont les opportunités et les enjeux juridiques qui se profilent à l’aune de l’exercice de l’activité judiciaire dans les métavers ? Des interrogations et des propositions pourront être discutées à l’occasion de ce séminaire.

Outils de détection automatique de la corruption dans les marchés publics, les promesses de l’IA et des données ouvertes

Séance en visioconférence avec Pierre-Henri Morand (professeur en sciences économiques, Université d’Avignon), 18 avril 2023, 12h30 à 14h.

En 2023, le Portugal sera le premier pays à se doter d’un outil d’intelligence artificiel pour détecter, dans les marchés publics « les contrats favorisant les mêmes entreprises, les coûts excessifs et les conflits d’intérêts ». Cette initiative témoigne de la mise en application effective d’un champs de recherche resté jusque là théorique, à la frontière des sciences économiques et de l’informatique, et qui vise à produire des outils dits de red flagging appliqués aux données de la commande publique.

Nous présenterons les enjeux, les méthodes d’intelligence artificielle mobilisées et les limites de ces dernières, notamment au regard de la qualité des données (des décisions de justice et des marchés publics) qu’elles mobilisent. Un focus particulier sera fait sur le potentiel des méthodes basées sur la détection d’anomalie dans des graphes décrivant les relations entre acheteur et fournisseurs des marchés publics français, qui constitue le cœur des recherches menées dans le cadre de l’ANR DeCoMaP (détecter la corruption dans les marchés publics).

L’aventure datajust : histoire d’un échec

Séance en visioconférence avec Vincent Rivollier (Centre Max Weber, CNRS et Centre Antoine Favre, Université Savoie Mont Blanc), 14 mars 2023, 12h30 à 14h.

Ce séminaire a pour but de retracer l’aventure du projet Datajust entre le décret de mars 2020, mettant en place les conditions réglementaires de réalisation du projet, et l’abandon du projet deux ans plus tard. Ce projet porté par le ministère de Justice consistait en l’analyse d’un corpus exhaustif des arrêts de cours d’appel administratives et cours d’appel judiciaires (formations civiles) indemnisant les conséquences d’un dommage corporel ; cette analyse a été réalisée à l’aide d’une grille d’analyse relativement détaillée, avec l’aide d’outils de traitement automatisé du langage. Les finalités de l’analyse n’ont jamais été d’une totale clarté, mais le ministère imaginait notamment élaborer un « référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels ».

À l’occasion de ce séminaire, nous replacerons le projet dans le contexte qui lui a permis de voir le jour, au croisement entre une volonté d’intervention publique quant aux outils d’aide à la décision en matière de dommage corporel et l’attraction – voire la fascination – du numérique et de l’open data des décisions de justice. Le ministère a certainement fait preuve d’optimisme voire d’idéalisme dans la manière dont il a mené le projet. L’échec était toutefois inéluctable : les difficultés techniques et les résistances corporatistes sont les motifs avancés par le ministère ; au-delà, cela traduit surtout un désengagement du ministère sur les questions numériques, l’intervention publique se limitant à la mise à disposition de données et à l’encouragement des initiatives privées.

Plateformes digitales : cerbères, trouble-fête ou victimes

Séance en visioconférence avec Paul Belleflamme, professeur d’économie à l’Université catholique de Louvain, 9 février 2023, 12h30 à 14h.

Spécialiste des questions relatives à la politique de la concurrence et à la régulation des plateformes, Paul Belleflamme a publié The Economics of Platforms. Concepts and Strategy (avec Martin Peitz, 2021, Cambridge University Press).

Justice algorithmique des élections

Séance en visioconférence avec Alya Hafsaoui (doctorante, université Grenoble Alpes) et Romain Rambaud (professeur de droit public, spécialiste de droit électoral, Université Grenoble Alpes), 6 décembre 2022, 12h30 à 14h.

Les intervenants ont présenté le projet interdisciplinaire Justice algorithmique des élections (JADE). Porté par le Centre de recherches juridiques (CRJ), le Laboratoire Jean Kuntzmann (LJK), le laboratoire d’informatique de Grenoble (LIG), avec le soutien de PACTE et de la chaire de société algorithmique du MIAI (Multidisciplinary Institute in Artificial intelligence), ce projet a pour objet d’utiliser des méthodes de mathématiques appliquées et d’IA à un objet juridique pour lequel elles n’ont jamais été utilisées et présentent un intérêt particulier, le contentieux des élections politiques. Il est élaboré en collaboration avec des informaticiens et des statisticiens de l’UGA. Son objet est de déterminer s’il est possible et comment de mettre en œuvre des dispositifs d’intelligence artificielle permettant de systématiser les raisonnements du juge en contentieux électoral afin de créer des systèmes d’aide à la décision du juge électoral (tribunaux administratifs, Conseil d’État, Conseil constitutionnel).

Contrat social et numérique

Séance en visioconférence avec Bruno Deffains (professeur en sciences économiques, Université Paris Panthéon-Assas), 17 novembre 2022, 12h30 à 14h.

Supply chain dispute resolution

Séance en visioconférence avec Marianna Riabova (doctorante, Université Grenoble Alpes), 20 octobre 2022, 13h à 14h30.

Justice par la blockchain

Séance en visioconférence avec la participation de Katrin Becker, Thierry Ménissier, Jean Lassègue, et Amélie Favreau, 2 mars 2022, 12h à 13h30. Cette présentation fait suite à la publication d’un dossier intitulé Justice par la blockchain, Dalloz IP/IT, no 1, janvier 2022.

S’il y a moins de cinq ans, la blockchain était encore méconnue en droit, elle est progressivement devenue un élément clé des discussions sur l’avenir du droit et de la justice. Alors que certains y voient un outil de substitution, voire de disparition de leurs activités,d’autres considèrent la blockchain comme une innovation technologique dont il faut se saisir pour améliorer le fonctionnement de la justice, par exemple. Non seulement avec les smart contracts, mais encore plus spécifiquement avec la création, poursuivie depuis peu, des applications spécifiques de résolution de conflit basée sur la blockchain, cette technologie décentralisée touche directement au cœur des activités du droit et de la justice traditionnelles. Les contributions suivantes tentent de fournir une première analyse pour comprendre comment la blockchain pourrait agir sur ces différentes activités du droit et de la justice.

Lawyer Decision under Ambiguity and Predictive Justice

Séance en visioconférence avec Vincent Teixeira (doctorant, Université de Lorraine), 7 décembre 2021, 12h à 13h30.

EN. Going to the court is always a tough decision to take. Indeed, you never know your probabilities to win, the time it will required and how much you will win or spend. Predictive justice is an A.I. tool that uses big data to bring information to lawyers and litigants about their probabilities to win and the potential rewards. This objective information should reduce the difficulty to make the ambiguous decision of going to the court or not. We want to analyze the impact of predictive justice in two different experimental settings. Seeing judicial decision as a decision under natural ambiguity, we test the effect of objective information on attitudes as well as its subjective value for subjects. Then, in a more contextual design, we want to measure how predictive justice increases alternative dispute resolution mechanism, and then reduce court congestion. Both studies will bring new evidence on how predictive justice might change the judicial decision paradigm.