Communs numériques et transition écologique

Cette journée d’étude, organisée par les groupes de travail Politiques environnementales du numérique et Politiques des communs numériques du GDR Internet, IA et Société, s’est déroulée le vendredi 25 novembre 2022 au Centre Internet et Société, 59-61 Rue Pouchet, à Paris 17e. Retrouvez ci-dessous un enregistrement vidéo et des présentations des intervenants.

Objectif

L’objectif de cette journée d’étude est double. D’une part, questionner l’articulation entre communs numériques et transition écologique en faisant dialoguer des chercheurs interdisciplinaires et des praticiens directement aux prises avec cette articulation. D’autre part, explorer les premières pistes pour établir des problématiques communes et orienter un programme de recherche. Pour ce faire, la journée sera organisée en deux temps. La matinée sera dédiée à trois présentations qui permettront de cadrer la journée et d’ouvrir des pistes de réflexion. L’après-midi s’organisera autour de trois ateliers participatifs.

Argument

Contexte. Le mouvement des communs numériques prend ses racines au croisement des mondes académique et de l’Internet américains. Ce mouvement défend le libre accès, la production pair-à-pair et la gouvernance partagée de ressources numériques dans l’espace informationnel en réseau. Les logiciels libres, Wikipédia ou encore Open Street Map sont des exemples paradigmatiques de ces agencements que les théoriciens du mouvement qualifient de « communs numériques ». Dans les années 2000, leurs revendications ont été traduites en dehors des sphères académique et militante de l’Internet, par exemple au sein des mondes de la production culturelle ou de la politique. Mais depuis quelques années, on assiste à un phénomène nouveau encore peu exploré par la recherche : des mobilisations cherchent à articuler les communs numériques aux enjeux de la transition écologique (Labaeye, 2020). Nous avons identifié trois formes d’articulation entre communs numériques et transition écologique. Premièrement, des projets de communs numériques intègrent des préoccupations écologiques. Ainsi, certaines communautés de logiciels libres essaient de réduire l’empreinte écologique de leur production à travers des pratiques « d’éco-conception », et se montrent parfois critiques à l’égard de la forte croissance du secteur du numérique au regard de ses conséquences environnementales et climatiques (Maurel, 2020). Deuxièmement, on assiste à la création de certaines « plateformes coopératives » qui sont spécifiquement produites pour répondre à des enjeux écologiques. C’est le cas de Mobicoop, un logiciel libre développé par une société coopérative d’intérêt collectif, qui a pour objectif de développer la mobilité partagée en proposant une plateforme ouverte (Vercher-Chaptal et al., 2021). Enfin, des communs numériques sont utilisés dans des projets de fabrication distribuée. Des partenariats originaux sont montés entre universitaires, ingénieurs et praticiens dans le domaine de l’agriculture pour coproduire des plans open source de machines agricoles plus respectueuses de l’environnement (Benkler, 2006 ; Giotitsas, 2019). Plus généralement, nous pourrions citer de nombreux autres exemples de fabrication distribuée, permettant de réduire les coûts logistiques de transport, dans les différentes branches des mouvements des « makers », des « fablabs », ou plus généralement des « tiers-lieux ». (Scaillerez et al., 2017 ; Lallement, 2018 ; Kostakis et al., 2018).

Problématiques. Pour autant, ces trois convergences entre communs numériques et transitions écologiques ne vont pas de soi. Pour commencer, les transitions écologique et numérique ont rarement été pensées conjointement. Au contraire, les représentations classiques d’Internet tendent à faire une distinction entre monde physique et monde virtuel. Une perspective naïve présentait le « cyberespace » comme la sphère de l’esprit où les attributs du corps n’avaient pas de prise. D’un point de vue plus sociologique, les mondes de l’Internet militant et de l’écologie politique ont été assez hermétiques, à quelques rares, mais notables exceptions près (Gorz, 2003). Sans compter que de plus en plus de voix s’élèvent pour critiquer l’impact environnemental du numérique et de son infrastructure matérielle (Flipo, 2021 ; Allard et al., 2022). On peut donc se demander comment les différents mondes sociaux (qui développent et promeuvent les technologies numériques et/ou travaillent à la transition écologique) dialoguent ensemble. Quels sont les grammaires communes et les points d’achoppement ? D’un point de vue plus empirique, quelles tensions apparaissent à l’occasion de ces tentatives d’hybridation d’enjeux et de représentations ? Comment se structurent des communautés de pratiques ? Quelles nouvelles formes institutionnelles, économiques ou partenariales émergent ?

Déroulé

9h – Accueil petit-déjeuner

9h20 – Matinée en plénière

12h45 – Déjeuner collectif (mais non pris en charge) dans un restaurant réservé

14h30 – Après-midi en ateliers

  • Les plateformes coopératives au service de la transition
    François Turbelin, développeur, représentant de CoopCircuits
  • Les enjeux écologiques pris en compte par les collectifs de communs numériques
    Marc Chantreux, pôle Calcul et services avancés à la recherche de l’Université de Strasbourg
    Lionel Maurel, juriste
  • La fabrication distribuée open-source
    Aurélien Béranger, doctorant en sciences de l’information et de la communication et philosophie des techniques, Costech EA 2223, Université de technologie de Compiègne, Alliance Sorbonne Université
    Émilien Ghomi, chercheur, maker, designer, ingénieur et informaticien spécialiste des interactions homme-machine

16h30 – Restitution et clôture de la journée en plénière

17h – Pot de fin

Bibliographie

Benkler Y., 2006, The Wealth of Networks. How Social Production Transforms Markets and Freedom, New Haven, Yale University Press, 528 p.

Berrebi-Hoffmann I., Bureau M.-C., Lallement M., 2018, Makers. Enquête sur les laboratoires du changement social, Paris, Éditions du Seuil.

Flipo F., 2020, L’impératif de la sobriété numérique, Paris, Éditions Matériologiques.

Giotitsas C., 2019, Open source agriculture. Grassroots technology in the digital era, Palgrave Macmillan.

Gorz A., 2003, L’immatériel, Paris, Éditions Galilée, 152 p.

Kostakis V., Latoufis K., Liarokapis M., Bauwens M., 2018, « The convergence of digital commons with local manufacturing from a degrowth perspective: Two illustrative cases », Journal of Cleaner Production, 197, p. 1684‑1693.

Labaeye A., 2020, The Role of Digital Commons in a Socio-Ecological Transition of Cities, Thèse de doctorat, Berlin, Humboldt-Universität Zu Berlin.

Lallement M., 2015, L’âge du faire. Hacking, travail, anarchie, Paris, Le Seuil, 448 p.

Maurel L., 2020, « Low Tech, logiciels libres et Open Source : quelles synergies à développer ? », Passerelle, no 21, Low tech : face au tout-numérique, se réapproprier les technologies.

Scaillerez A., Tremblay D.-G., 2017, « Coworking, fab labs et living labs », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement., 34. Vercher-Chaptal C., Acosta Alvarado A.S., Aufrère L., Brabet J., Broca S., Carballa Smichowski B., Coriat B., Compain G., Eynaud P., Maurel L., Srnec C., Wanner P., 2021, « There Are Platforms as AlternativeS. Entreprises plateformes, plateformes collaboratives et communs numériques », Research Report, Paris, DARES – Ministère du Travail, de l’Emploi et du Dialogue social ; DREES.