3.12.2019 CIS #5
Mathieu O’Neil

Les Peer Production Studies : un champ de recherche à construire ?

Au cours des années 1970, un champ de recherche interdisciplinaire s’érigea contre les dominations de classe, de genre, et de race, dans la société et dans l’université : les Cultural Studies. Un curieux renversement vit certains apôtres des Cultural Studies suggérer à partir des années 1980 que la société capitaliste offrait aux individus la possibilité de résister à l’hégémonie des dominants en exprimant leur identité, par l’intermédiaire de la consommation culturelle de masse. Ce bref rappel historique vise à souligner le risque qu’il y aurait à décrire la production autonome de biens communs comme une alternative au champ économique dominant. Les rachats de GitHub et Red Hat, l’adoption par Microsoft du ‘Inner Source’, le lancement de IKEAhackers.com, etc., montrent que le partage des connaissances, la co-création, les ‘hacks’ et les ‘mods’ sont au cœur du capitalisme actuel. Les éléments d’un champ de recherche sur la peer production existent – une histoire et une culture, des fondateurs et des entrepreneurs, quelques revues et centres de recherche. Mais si les questions principales soulevées par cette production par et pour les pairs sont le rapport à l’économie de marché et la question de l’institutionnalisation, serait-il plus approprié d’évoquer des Co-optation Studies, des études de la récupération ?

La production autonome de biens communs est à la fois une éthique (autorité du meilleur argument, partage des ressources), une pratique en évolution (communs numériques, habitat autogéré, réinvention dans les bazars du Sud), et une politique auto-constituante (participation, relocalisation). L’enjeu des Peer Production Studies, si elles devaient exister, serait donc double : décrire et dans la mesure du possible mettre en pratique ces formes multiples ; rendre compte de la dialectique de récupération qui les traverse.

Mathieu O’Neil est associate professor en communication, University of Canberra et adjunct research fellow en sociologie, Australian National University. Ses recherches portent sur la diffusion des innovations, l’analyse de réseaux sociaux, et la sociologie des organisations et des mouvements sociaux dans le cadre de la transformation numérique. Il a contribué à la fondation du Virtual Observatory for the Study of Online Networks (Voson, ANU), un des centres mondiaux de la recherche numérique, et créé le Journal of Peer Production. À l’heure actuelle, il coordonne une équipe franco-australienne analysant la confluence du travail salarié et volontaire dans les projets F/OSS (Digital Infrastructure Grant, Fondations Sloan et Ford) et co-édite une anthologie, le Handbook of Peer Production (Wiley, 2020).

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