Le chiffrement peut-il sauver des vies ?

Couverture du livre Un monde en guerre, La Découverte, 2024.

Francesca Musiani, 2024, « Chapitre 9. Le chiffrement peut-il sauver des vies ? Les messageries sécurisées et leur infrastructure comme lieux de complémentarité entre la cyberguerre et la guerre conventionnelle : le cas de l’Ukraine », in Claudia Senik (dir.), Un monde en guerre, Éditions La Découverte, Fondation pour les sciences sociales, coll. « Recherches », 2024, p. 153-170.

Présentation de l’ouvrage

Malgré les espoirs nourris par les démocraties après la Seconde Guerre mondiale, malgré la tentative de construire un ordre international fondé sur le multilatéralisme et malgré la dissuasion nucléaire, la guerre ne cesse de se rallumer en de multiples points du monde, y compris aux portes de l’Europe. Depuis 2022, la guerre en Ukraine a réactivé d’anciens débats : rationalité et justification morale de la guerre, nature des interactions stratégiques entre acteurs du conflit, mobilisation de la population civile, légitimité et efficacité des sanctions contre l’agresseur. Elle soulève également de nouvelles questions. Du côté de la Russie, la guerre fait-elle l’objet d’un consensus au sein des élites ? Pour l’Union européenne, est-elle l’occasion d’une cohésion approfondie, à l’image de l’accueil coordonné des réfugiés ukrainiens ? Ce conflit illustre également l’étendue des armes et des cibles de guerre, des plus traditionnelles telles que l’eau aux outils de communication les plus modernes.

Les douze contributions réunies dans ce volume abordent ces questionnements à l’aide des outils propres à différentes disciplines des sciences sociales et humaines. La plupart se rapportent à la guerre en Ukraine, mais certaines ramènent le lecteur au Moyen Âge ou à l’Antiquité, tandis que d’autres appréhendent la manière d’écrire l’histoire de la guerre ou de la représenter dans une œuvre picturale.

Articles web et presse

Gaïdz Minassian, 2024, « Un monde en guerre : réflexions autour de la stratégie, de la cyberdéfense, de l’histoire et des techniques de siège », Le Monde, 29 mars 2024. En ligne

Gaïdz Minassian, 2024, « Le monde occidental est attaqué pour ses valeurs et son hégémonie, justement parce qu’il perd de sa force », interview avec Claudia Senik, Le Monde, 29 mars 2024. En ligne

Chapitre 9 par Francesca Musiani

Les technologies de chiffrement font depuis longtemps l’objet d’une controverse publique, dans laquelle les défenseurs de la vie privée s’opposent à ceux qui prétendent que le chiffrement est une menace pour la sécurité générale parce qu’il « facilite » l’action subversive. Ces technologies soulèvent des questions ultérieures en temps de guerre : Comment les conflits armés remettent-ils en cause les modèles de menace existants ? Quels sont les nouveaux risques pour la société civile ? Le chiffrement peut-il sauver des vies ? En abordant ces questions dans le cadre de la guerre d’invasion de la Russie envers l’Ukraine (2022-en cours), le présent chapitre montre que les communications chiffrées et les technologies d’obscurcissement du trafic internet font l’objet d’une complémentarité entre les aspects informationnels et physiques de la guerre au 21e siècle. En effet, les outils de messagerie et l’écosystème numérique qui permet leur déploiement (interfaces, fournisseurs d’accès, opérateurs télécom) font désormais partie intégrante d’une infrastructure de guerre et de résistance où les frontières entre cyberguerre et guerre conventionnelle sont de plus en plus floues. Les outils de messagerie chiffrée sont utilisés dans le contexte de l’invasion russe de l’Ukraine non seulement comme un dispositif de communication d’urgence, mais aussi comme une « pièce du puzzle » de stratégies plus larges de survie et d’avantage militaire. Cependant, les menaces physiques pesant sur les civils et les dommages causés aux infrastructures font que la messagerie chiffrée est seulement une parmi plusieurs pratiques innovantes d’autodéfense déployées par les Ukrainiens. Ce travail est issu d’une collaboration avec Ksenia Ermoshina.