Politiques des communs numériques

La question des communs numériques et de la connaissance (CNC) a bénéficié de nombreux travaux de recherche la fois théoriques ​(Lessig 2005 ; Aigrain 2005 ; Benkler 2007 ; Le Crosnier 2015) et empiriques ​(Hess et Ostrom 2011 ; Cardon et Levrel 2009 ; Schweik et English 2012 ; Fuster Morell 2010)​. Certains cas paradigmatiques de communs numériques et de la connaissance sont aujourd’hui établis, reconnus et légitimes (Wikipedia, Open Street Map etc.). De nombreuses conférences et interventions de la part des chercheurs comme des militants en diffuse la pensée. Il semble donc que nous soyons arrivés à une première maturité.

Pourtant, nous savons également que la pérennité et le développement du concept de commun dans les sphères du numérique et de la connaissance dépendent d’un ensemble de facteurs (droit, financements, politiques publiques, puissance de l’enclosure, gouvernance etc.) sujets à de nombreuses variations. Plus spécifiquement, on commence à voir se dessiner des interactions ambigües entre les CNC, le marché et la puissance publique.

Si les recherches sur l’importance de grandes firmes dans le développement de Linux ont déjà été menées ​(Broca 2013)​, nous voyons l’importance croissante des projets open-sources initiés par les GAFA, en même temps que l’usage massif qu’ils font de certains CNC. Google utilise ainsi Wikipedia, a qui il vient de contribuer via un don de 3 millions € et d’outils d’intelligence artificielle ​(Matsakis 2019)​. D’un autre côté, les initiatives de la puissance publique pour promouvoir les CNC (à l’échelle des villes comme à Barcelone (calimaq 2019)​, ainsi qu’à l’échelle nationale avec les projets comme la Base Adresse Nationale et les partenariats public-commun) contrastent avec certaines législations favorables à l’enclosure.

Il semble donc important de continuer à alimenter nos recherches sur ces métamorphoses rapides (objectif 1) et d’essayer de saisir quelles sont les perspectives d’avenir des CNC, entre la puissance publique et le marché, dans une dimension pluridisciplinaire via un colloque international (objectif 2).

Coordination

Sébastien Shulz coordonne ce groupe de travail depuis 2019. Postdoctorant en sociologie au COSTECH (Université de technologie de Compiègne) et chercheur associé au LISIS (Université Gustave Eiffel), ses recherches portent sur l’impact des nouvelles technologies en général, et des communs numériques en particulier, sur la transformation de l’action publique et la transition écologique. Il a notamment publié dans Réseaux et la Revue française de science politique.

Virginie Aubrée a été coordinatrice de ce groupe de travail de septembre 2022 à décembre 2023.

Cristiana Sappa (IÉSEG School of Management) a coordonné ce groupe de travail de 2019 à août 2022.

2019/22

Séminaire Politiques des communs numériques

Changemakers. The industrious future of the digital economy

Le sociologue italien Adam Arvidsson présentera en anglais et en visioconférence son ouvrage Changemakers. The Industrious Future of the Digital Economy (Polity Press, 2019), vendredi 9 février 2024, de 13h30 à 15h. L’inscription est gratuite mais obligatoire.

L’Anthropocène met un terme définitif à la modernité. La crise du Covid a montré l’incapacité de la modernité à gérer les niveaux de risque accrus que l’Anthropocène est susceptible d’entraîner. Mais quelles sont les options ? L’émergence d’une nouvelle « modernité industrieuse » pourrait-elle être la source d’une forme alternative d’économie écologique et d’organisation politique ? Et si oui, à quoi pourrait-elle ressembler ? Pour Adam Arvidsson, cette nouvelle « modernité industrieuse » est fondée sur un entrepreneuriat à petite échelle, basée sur les communs et orientée vers un marché éthique. Elle s’appuie sur les nouveaux communs numériques et de la connaissance générés par la mondialisation du capitalisme industriel lui-même, qui réduisent radicalement les besoins en capitaux pour s’engager dans l’activité économique et fournissent de nouveaux outils d’organisation productive très efficaces à peu de frais.

Adam Arvidsson est professeur de sociologie à l’université de Naples. Il s’intéresse aux nouvelles formes de coopération numérique et leur potentiel transformateur économique et politique. En plus de son ouvrage Changemakers, il est l’auteur de The Ethical Economy. Rebuilding Value After the Crisis (Columbia University Press, 2013).

Les partenariats public-communs contre la privatisation numérique

Vendredi 8 décembre 2023, 14 à 16h, site Paris Pouchet ou visioconférence.

Gilles Jeannot est professeur de sociologie à l’École des Ponts ParisTech, spécialisé sur l’action publique et les mouvements sociaux. Il est notamment l’auteur, avec Simon Cottin-Marx, de La privatisation numérique. Déstabilisation et réinvention du service public (Éditions Raisons d’agir, 2022). C’est la présentation des idées fortes de cet ouvrage qui servira de support aux discussions, pour interroger les liens entre service public, privatisation et communs numériques.

Valoriser et protéger le travail des communs par le droit

Présentation théorique et pratique des outils juridiques mobilisables afin de valoriser le travail réalisé au sein des communs et de protéger ces derniers de la prédation du capitalisme de plateforme.

Vincent Bachelet est juriste, consultant spécialisé en innovation ouverte au sein d’inno³ ; doctorant en droit privé à l’Université Paris-Saclay dont les travaux portent sur les outils juridiques au service de la valorisation économique des communs numérique ; membre de l’association CoopCycle.

Will the European Union build the Data Commons?

We are mid way through the term of the current European Commission with means we are also mid way though the European Data  Strategy that is a cornerstone of the EU digital agenda. This presentation will examine the state of the various legislative proposals that have been adopted (Data Governance Act) and are under discussion (the Data Act). It will also look at the efforts of the Euroepean Commission to build Common European Data Spaces. Do all these elements offer the building blocks to realised the idea of a (European) data commons? And how can we contribute to make this a reality?

Paul Keller is the Director of Policy at Open Future. He has almost 20 years of experience as a media activist, open policy advocate and systems architect to improve access to knowledge and culture. A political scientist by training, Paul has a deep understanding of the digital transformation’s political, social and legal implications. Paul is a founding member and current president of the COMMUNIA association for the Public Domain, sits on the advisory board of the Europeana Foundation. Depending on the task, he can shape-shift between being a systems architect, a lobbyist, an activist or a cyclist. More here

Qu’est-ce qu’un commun numérique de connaissance ?

La gestion collective d’une ressource par certains, qui permet de la préserver pour tous, a été associée à la notion de « commun », telle qu’étudiée par Ostrom. Le numérique aurait permis l’émergence de nouveaux communs, de « connaissance » (Hess, Ostrom, 2007), « d’innovation » (Potts, 2018), voire « numériques » (Greco, Floridi, 2004), sans que les différences nous apparaissent clairement. Le risque d’une définition si vaste ou si vague est qu’on appelle, comme Mindel et al. (2018) toute plate-forme en ligne décentralisée où les participants ont un but commun un « commun informationnel ». Si tout est commun, ce terme perd son sens, ou au moins le sens que lui a donné initialement Ostrom (1990). On peine à expliquer pourquoi ces mécanismes de gestion sont similaires, particulièrement les mécanismes d’exclusion des contributeurs. En se penchant sur le fonctionnement de divers collectifs de production de connaissance, j’expliciterai ces mécanismes et finalement ce qu’est la ressource à laquelle accèdent leurs contributeurs. Ceci nous permettra de définir ce qu’est un commun numérique de connaissance. Nous rediscuterons alors la notion de commun, et partant, de commun scientifique.

Nicolas Jullien est professeur à IMT Atlantique, Campus de Brest. Il y enseigne l’économie et le management. Il est le co-directeur scientifique de Marsouin (depuis 2017), réseau de recherche breton (et ligérien) en sciences humaines et sociales sur la société numérique. Sa recherche principale se place dans le cadre du management de l’innovation et du management des organisations (virtuelles), et dans ce qu’on appelle aujourd’hui « innovation ouverte ». Elle s’intéresse aux interactions entre les institutions marchandes et la production collective non marchande et ouvertes (comme le logiciel libre, Wikipédia) : comment ces industries sont impactées dans leur organisation par ces productions collectives, tant sur les modèles économiques que sur l’organisation du travail.

Les transformations du mouvement des communs numériques de 1990 à nos jours

En esquissant une histoire conjointe du capitalisme numérique et du mouvement de défense des communs au cours des trente années écoulées, cette communication propose de réfléchir à la manière dont le militantisme pour l’accès à l’information et la connaissance s’est transformé et de montrer notamment comment les questions économiques et écologiques ont progressivement pris une importance supérieure au sein du mouvement des communs.

Sébastien Broca est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8 et chercheur au Cémti. Après avoir travaillé sur le mouvement du logiciel libre, il mène des recherches sur les communs numériques et les différentes critiques adressées aux grandes entreprises de la Silicon Valley. Il a publié Utopie du logiciel libre (Le passager clandestin, 2013).

Les communs numériques et l’économie sociale et solidaire : une comparaison entre l’Assemblée des Communs de Lille et le SIILAB

Amélie Lefebvre-Chombart, coordinatrice de la ChairESS Hauts-de-France, présente son article corédigé avec Pierre Robert, et publié dans le numéro 130 de Terminal en 2021 sur les communs numériques et l’économie sociale et solidaire. Intervient également Sophie Louey, sociologue, qui a particulièrement travaillé sur le profil des commoners au sein de l’un des terrains d’étude présentés.

Séminaire sur la présentation du numéro 130 de la revue Terminal consacré aux communs numériques.

  • Une présentation générale du volume par Mélanie Clément-Fontaine, qui a exposé les spécificités des communs numériques et la manière dont ils s’inscrivent dans le domaine foisonnant des communs.
  • Une présentation générale des articles de Sébastien Broca, Sébastien Shulz, Léo Joubert, Pierre Robert et Amélie Lefebvre-Chombart, Léa Stiefel et Alain Sandoz, a ensuite été faite par Mélanie Dulong de Rosnay (CIS-CNRS).
  • Enfin, une intervention sur l’une des contributions collectées sur les liens entre la pandémie en cours et les communs a été animée par Robert Viseur et Amel Charleux, avec Bérengère Fally et a porté sur l’action des makers pendant la crise de la Covid-19 : nouvelle forme d’action collective ou emballement médiatique ?
  • Le débat de clôture a été modéré par Nicolas Jullien.

Table ronde organisée autour de la note publiée en août 2020 par le ministère des Affaires étrangères, intitulée « Des barbelés sur la prairie Internet : contre les nouvelles enclosures, les communs numériques comme leviers de souveraineté ».

Présentation de la note par Benjamin Pajot (rédacteur de la note, ministère des Affaires étrangères), puis discussion par Stéphane Couture (spécialiste des logiciels libres, Département communication, Université de Montréal) et Pauline Türk (spécialiste de droit constitutionnel et de la souveraineté numérique, Département droit public, Université Côte d’Azur) sur les enjeux soulevés par la note au prisme de leurs recherches avant que la discussion ne s’ouvre avec les autres participants.

Anne Danis-Fatôme (professeure, Université Paris Nanterre) a présenté ses recherches en cours sur le projet « Les biens communs : un outil juridique à aiguiser ».

Virginie Aubrée a présenté certains aspects de sa thèse de doctorat en droit public portant sur la notion de bien commun et son application aux communs numériques. La communication a parcouru certains principes juridiques et la jurisprudence sur des aspects spécifiques concernant les biens communs pour élaborer des tentatives de réponses à la question de recherche ici posée.

Cristiana Sappa a présenté sa recherche in itinere sur l’application de la notion de commun de la connaissance aux écosystèmes de l’Internet des objets, ainsi qu’à l’intelligence artificielle. L’analyse juridique de droit privé a pu bénéficier d’un retour non seulement des juristes, mais également des économistes et des sociologues participant à la réunion.

Corinne Vercher-Chaptal (professeure en sciences de gestion, Université Sorbonne Paris-Nord) a présenté le projet TAPAS. Il s’agit d’un projet qui met l’accent sur les plateformes collaboratives, qui s’émancipent des principes purement marchands pour répondre à des impératifs de soutenabilité sociale et environnementale.

Sébastien Shulz a présenté un terrain tiré de sa recherche doctorale qui portait sur la mise en place d’une base de données publique et officielle sous la forme d’un commun numérique. La présentation montrait les enjeux que soulevait l’adoption de cette forme au sein de l’administration.

Rencontres internationales annuelles

Suite à une introduction de Sébastien Shulz, Benjamin J. Birkinbine (Associate Professor of Media Studies at the Reynolds School of Journalism and Center for Advanced Media Studies at the University of Nevada, Reno) a présenté son livre Incorporating the Digital Commons: Corporate Involvement in Free and Open Source Software (University of Westminster Press, 2020).

Sébastien Shulz a ouvert le séminaire encadrant le thème du jour. Michel Bauwens est intervenu ensuite sur les perspectives politiques et socio-économiques des communs, en appuyant ses positions et arguments sur certains exemples locaux.