4.7.2023 CIS #34
Mathieu O’Neil et Victor Chomel

Le séminaire du CIS reçoit Mathieu O’Neil (Université de Canberra, Australie) et Victor Chomel (docteur en sciences de la société, EHESS) le 4 juillet 2023, de 10h30 à 12h30, à Paris 17e et en visioconférence, pour une séance consacrée à la désinformation en ligne.

Mathieu O’Neil
Trois principes pour répondre à la pollution épistémique

Comment faire face à la pollution épistémique quand l’information est surabondante, et quand la confiance dans les institutions – y compris scientifiques – est en déclin ? Les méthodes visant à contrer la désinformation seront efficaces si elles sont rapides (ne gaspillons pas notre attention sur des contenus qui n’en valent pas la peine), acceptables par le plus grand nombre (évitons les perspectives trop ouvertement partisanes), et transparentes (pour neutraliser les théories du complot qui voient des processus ou groupes secrets à l’œuvre partout). J’applique ces principes de deux manières. Un premier volet, avec Rachel Cunneen (Éducation, Université de Canberra) vise à réformer l’enseignement primaire et secondaire de la maîtrise de l’information (« information literacy »). Nous enseignons a des écoliers australiens la méthode dite « lateral reading » : je ne m’engage pas à fond, verticalement, dans une information inconnue. Je regarde sur le côté, latéralement, en ouvrant un autre onglet ; en effectuant une recherche ; et en vérifiant si l’information est digne de mon attention. Wikipédia représente une excellente solution pour un tel « fact-checking » rapide et transparent et nous recommandons son utilisation, suscitant l’opposition (initiale) de certains enseignants. Un deuxième volet, avec Rob Ackland (VOSON, Australian National University) développe des indicateurs ou « heuristiques » permettant de mesurer si un environnement informationnel en ligne constitue une chambre d’écho, c’est-à-dire un espace ou les opinions minoritaires ne sont pas tolérées). Pour dire les choses différemment, nous cherchons à déterminer à quel point un environnement informationnel en ligne est « sain » – c’est-à-dire ouvert, divers, informé, tolérant, etc. Nous collectons des débats politiques sur Twitter et utilisons des mesures d’analyse des réseaux pour évaluer la diversité et la réciprocité de séquences argumentatives. Nous ajouterons ensuite des indicateurs sémantiques, tels que le caractère plus ou moins partisan des liens HTML, la présence de références a des sources impartiales, et la présence de termes incivils ou agressifs. À terme, ces mesures pourraient être automatisées et mises à disposition du public sous la forme d’un outil permettant d’évaluer, de manière transparente, la « santé » relative d’un environnement informationnel (« information health »).

Mathieu O’Neil est professeur de communication au News and Media Research Centre a l’Université de Canberra, et professeur associé honoraire de sociologie à l’Australian National University, où il a co-fondé le Virtual Observatory for the Study of Online Networks (VOSON) en 2006. Il a fondé et animé le Journal of Peer Production entre 2011 et 2021, ainsi qu’un think tank, le Digital Commons Policy Council, depuis 2021.

En 2021, il a également co-edité le premier Handbook of Peer Production (Wiley). Ses projets de recherche actuels comprennent l’analyse des contributions des chercheurs sur GitHub et l’élaboration de propositions en faveur de la soutenabilité des communs numériques (financé par la Ford Foundation) ; l’analyse en réseau d’environnements en ligne (financé par le programme Artificial Intelligence and the Society of the Future de la Volkswagen Foundation) ; et la création de nouvelles méthodes de maîtrise de l’information pour les écoles (financé par la Direction de l’Éducation de l’Australian Capital Territory).

Victor Chomel
Au-delà des fake news. Une approche structurelle et dynamique de la désinformation

L’étude de la désinformation fait aujourd’hui l’objet d’approches multiples et complémentaires. Nous proposons ici de nous intéresser au contexte des interactions sociales plutôt qu’à leur contenu. L’enjeu de cette présentation sera de montrer comment l’analyse de la circulation de l’information, ainsi que sa mise en relation avec les structures sociales, permet une meilleure compréhension des comportements en ligne, et en particulier de la désinformation.

Les dynamiques entre communautés en ligne sont au cœur de notre méthode. On distinguera ainsi les dynamiques intracommunautaires des dynamiques intercommunautaires, avec par l’exemple l’étude de la convergence communautaire observée autour de la vaccination. On mettra ainsi en avant le rôle joué par les structures sociales et par certains utilisateurs dans la propagation de l’information, dans un but de mise à l’agenda par exemple. Des résultats issus du Deep Learning seront également présentés afin de modéliser des évolutions plus générales du réseau, telles que la polarisation. Enfin, l’importance du médium sera interrogée à l’aide de travaux sur les images et vidéos de la campagne présidentielle de 2022.

Victor Chomel est docteur en sciences de la société de l’EHESS. Il est par ailleurs diplômé de l’École polytechnique et d’un master en optimisation et en intelligence artificielle. Sa thèse, réalisée sous la direction de David Chavalarias à l’Institut des Systèmes Complexes (ISC-PIF), a porté sur l’étude de la désinformation d’un point de vue structurel et dynamique. Durant sa thèse, il a développé des méthodes de modélisation de l’évolution temporelle des réseaux sociaux, notamment grâce aux avancées récentes du Deep Learning sur les graphes. Dans le cadre du projet Politoscope, ces outils ont pu être appliqués à la politique française. Aujourd’hui, ses recherches portent plus précisément sur la détection de comportements coordonnés en ligne, dans un cadre multi-modal et multi-plateforme.