1.4.2021 CIS #17
Paola Tubaro

Cette séance s’est déroulée le 1er avril 2021. L’enregistrement vidéo est disponible.

Qui travaille derrière l’intelligence artificielle ? Enjeux éthiques et sociétaux d’une nouvelle forme de production

La présentation proposée porte le regard sur le « back-office » de l’intelligence artificielle (IA), et appréhende les impacts économiques et sociétaux de celle-ci, à partir de ses conditions de production et des humains qui y participent. À l’ombre des algorithmes, on découvre des multitudes de « micro-travailleurs » et « micro-travailleuses » qui exécutent des tâches courtes et standardisées, rémunérées à la pièce pour des montants faibles, pouvant descendre jusqu’à quelques centimes. Elles consistent par exemple à enregistrer sa voix afin de fournir des exemples à des modèles de reconnaissance vocale, ou à contrôler la qualité des transcriptions effectuées automatiquement.

Cette présentation  prend appui sur les premiers résultats d’une étude en cours du micro-travail dans les pays hispanophones, marqués par la centralité de l’Espagne et en même temps, par la présence massive de micro-travailleurs et micro-travailleuses du Venezuela suite à la crise économique et politique qui touche ce pays.

Il s’agit de faire apparaître de grandes tendances et des tensions qui ouvrent sur des questions sociétales plus vastes en termes de transformations du travail, mondialisation, éthique et gouvernance du numérique.

Nous verrons que, si le marché du micro-travail pour l’IA dépasse les frontières nationales, il maintient une dimension locale et surtout, s’agence selon des lignes de division linguistiques – un aspect peu exploré dans la (toujours naissante) littérature existante, focalisée sur le monde anglophone.

Nous montrerons aussi qu’il y a des formes d’auto-organisation de la part des travailleurs, de création et de partage de connaissances, qui se définissent également selon des lignes linguistiques et qui constituent, pour ainsi dire, un marché autour d’un marché – un ensemble d’activités dérivées, mi-sociales et mi-marchandes, qui vivent autour des plateformes de micro-travail et à leur tour, les font vivre.

Pour finir, nous discuterons des enjeux éthiques du micro-travail et de leurs implications pour l’IA, allant de la « juste » rémunération aux contenus des micro-tâches et à l’opacité quant à leurs usages potentiellement malveillants.

Sociologue et économiste, Paola Tubaro est directrice de recherche au CNRS au sein du LRI (Laboratoire de recherche en informatique). Elle mène des recherches interdisciplinaires visant à éclairer des phénomènes socio-économiques complexes à l’aide de la science des données, de la simulation informatique multi-agents et de l’analyse de réseaux sociaux.

Ses recherches ont porté sur la vie privée sur internet, les communautés de santé en ligne, et plus récemment, l’économie des plateformes numériques et les transformations du travail que celles-ci entraînent. Elle s’intéresse également à l’éthique de la recherche sur les réseaux sociaux et aux nouvelles méthodologies liées aux big data. Elle enseigne la science des réseaux à l’ENS Paris-Jourdan et à l’ENSAE.