Démocratisation à l’échelle mondiale, émancipation, pluralisme, diversité et transparence de l’information, les promesses de l’Internet étaient nombreuses et laissaient miroiter, comme toutes les nouvelles technologies, un avenir radieux dans un monde connecté, unifié et apaisé (Howard, 2015 ; Margetts et al., 2015). Mais force est de constater qu’à l’euphorie des débuts a succédé la désillusion. Le déploiement de la logique publicitaire depuis une quinzaine d’années, associé au développement du web 2.0, a conduit à l’émergence de nouvelles hégémonies qui entrent en contradiction avec les idéaux fondateurs et expliquent en partie « Le Désenchantement de l’Internet » (Badouard, 2017). Ce désenchantement touche en particulier à la question du contrôle de l’information, de sa diffusion et de son instrumentalisation, à tel point que beaucoup considèrent aujourd’hui le Web 2.0 et ses technologies algorithmiques comme un outil de manipulation (Woolley et Howard, 2019 ; Morozov, 2015), de discrimination et de ségrégation (van Brakel, 2021) L’alliance entre le big data et l’automatisation de la communication en ligne rendait possible une diffusion à la fois personnalisée et massive (Cattaruzza, 2019). Ceci représente une mutation majeure appelée à se développer, comme le souligne Philippe Vion-Dury (2018), « en décuplant la quantité et la nature des données, c’est l’essence même des méthodes qui a changé, en permettant d’étudier avec une plus grande précision des phénomènes collectifs, mais surtout individuels. […] des statistiques de masse et probabilités grossières, on passe à un tout autre régime : individualisé, précis, invisible et omniprésent, capable de refaçonner la société » (Vion-Dury, 2018, p. 21).
Ces questions peuvent être observées dans différents secteurs comme la culture, le marketing d’influence, et la propagande politique. Dans le secteur culturel, la prescription algorithmique personnalisée (mais aussi de masse) joue un rôle fondamental sur la manipulation des goûts et des opinions car elle a pénétré tous les domaines de la production culturelle et artistique et à tous les échelons, de la création à la réception. Les modalités, implications et conséquences de ce phénomène recoupent en partie le rôle des plateformes comme nouveaux intermédiaires, prescripteurs de par la personnalisation des recommandations et le ciblage en fonction des profils d’utilisateurs (Bouquillion, 2020 ; Beuscart J.-S., Coavoux S., Maillard S., 2019 ; Karakayali, Kostem, et Galip, 2018). Par ailleurs, la propagande semble à tout le moins revenir sur le devant de la scène à la fois en termes de préoccupations politiques mais aussi scientifiques (Colon, 2021, 2019 ; Conesa, 2018). L’affaire Cambridge Analytica (Calabrese et Pérez Lagos, 2022) confirme l’influence de la propagande en contexte numérique lors des campagnes électorales (Theviot, 2019), ce qui semblerait être une menace pour les démocraties actuelles (Bradshaw et Howard, 2017). De même, par la collecte et le traitement des données personnelles, qui entraîne la perte de la vie privée en ligne (Musiani, 2016), les pratiques d’influence et de ciblage publicitaire, voire comportemental (Ouakrat, 2012), ont transformé le secteur publicitaire au sein duquel des nouveaux dispositifs techniques se développent dans un espace de circulation des messages en pleine mutation. Par exemple, dans le cas du marketing d’influence, la manipulation des opinions et des goûts s’exprime dans les réseaux socionumériques par des influenceuses et des influenceurs ; l’influence devient ainsi un métier à part entière.
Ce GdT a une forte vocation interdisciplinaire qui s’est consolidée peu à peu, par les séminaires annuels ainsi que par la tenue du colloque Big Data en octobre 2022 au sein duquel nous avons pu discuter des aspects psychologiques, linguistiques, politiques, économiques et des implications juridiques et philosophiques des rapports entre le Big Data, la surveillance indiscriminée et la manipulation en contexte numérique.
En plus d’être une plateforme pour de nouvelles·aux chercheur·euses intéressé·es par les enjeux de la surveillance en régime numérique, depuis 2021 ce GdT a pour vocation d’élargir les discussions à une échelle internationale avec l’invitation au séminaire de chercheur·euses étranger·ères.
Coordination
Camila Pérez Lagos est enseignante-chercheuse à l’Institut des stratégies et techniques de communication (ISTC) et chercheuse à ETHICS EA 7446 (Université catholique de Lille). Après avoir étudié la communication numérique des théâtres financés par l’État en France et au Chili (recherche doctorale 2012-2016), elle s’intéresse depuis 2017 à la surveillance en régime numérique, compris comme un problème public émergent. Ses derniers travaux portent sur le scandale Cambridge Analytica et ses conséquences sur la façon dont l’opinion publique traite des questions relatives aux données personnelles et à la vie privée en ligne. Elle coordonne ce GdT depuis janvier 2021.
Docteur en études anglophones, Mehdi Ghassemi est enseignant-chercheur à l’Institut des stratégies et techniques de communication (ISTC) et chercheur à ETHICS EA 7446 (Université catholique de Lille). Après avoir étudié l’intersection entre la subjectivité et l’esthétique dans les œuvres de John Banville, Jacques Lacan, Friedrich Nietzsche (recherche doctorale), il s’intéresse désormais aux nouveaux régimes de subjectivité et de visibilité facilités par les technologies numériques de communication. Plus précisément, il étudie le lien entre le regard et le pouvoir au sein des cultures visuelles contemporaines, notamment, les manières dont le regard « surveillanciel » est normalisé, interrogé, ou résisté dans divers produits de la culture populaire, mais aussi dans des expériences artistiques qui traitent de la surveillance comme objet de représentation (surveillance art). Il coordonne ce GdT avec Camila Pérez Lagos depuis juin 2022.
Elsa Jaubert (Université de Caen) a coordonné ce GdT en 2019 et 2020.
Ce groupe de travail s’est intitulé jusqu’en septembre 2023 Surveillance et manipulation des goûts et des opinions.
2020/23
Séminaire Surveillance et pouvoir
Le groupe de travail organise un séminaire depuis 2020.
Colloque Big data : influence, manipulation et micro-ciblage
Organisé par l’Institut des stratégies et techniques de communication (ISTC), le Centre de recherche Risques et Vulnérabilités (CERREV, Université de Caen Normandie) et l’Université du Québec à Montréal (UQAM), dans le cadre du projet ECOPOSS de l’Université catholique de Lille, avec la participation du GDR Internet, IA et Société, ce colloque s’est tenu du 27 au 29 octobre 2022 à Montréal, Lille et en visioconférence.
Projet Big Data
Cette enquête sur les pratiques des professionnels qui font usage des données en France a débuté en 2020. Le projet est coordonné par François Rioult (Université de Caen Normandie), Julien Onno (Université de Caen), Rania Aoun (Université du Québec à Montréal et York University) et Camila Perez Lagos (ISTC, Institut des stratégies et techniques de communication). Trente-cinq entretiens ont été réalisés auprès des professionnels de la data en France. En 2022, l’objectif est de présenter les premiers résultats (colloques, publications). Le travail a été réalisé par Julien Onno, docteur en sociologie de l’Université de Caen, Rania Aoun, enseignante-chercheuse à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et York University, et Camila Pérez Lagos, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Institut des stratégies et techniques de communication (ISTC).
2020/21
Colloque Infodémie
Participation des membres du groupe au colloque international De l’information à l’infodémie en temps de crise sanitaire mondiale, 20-21 mai 2021, en ligne.
Journée d’étude Surveillance
Participation à l’organisation de la journée d’étude Technologies numériques et surveillance, 4 juin 2021, en ligne.
2019/20
TURFU Festival
Une soirée de recherche participative, intitulée « Épidémie d’informations », a été organisée à Caen le 7 octobre 2020.
Des ateliers de fact-checking se sont aussi déroulés le 8 octobre 2020 pendant le TURFU festival au Dôme à Caen.
Plateformes numériques, algorithmes et société : explicabilité et effets
Échanges avec le groupe de travail Plateformes et risques algorithmiques. Sihem Amer-Yahia, Christophe Benavent, Bruno Descamps, Antoine Henry, Maryvonne Holzem, Elsa Jaubert, Maxime Lambrecht, Daniel Le Métayer, Maël Pégny, Franck Rebillard, Serge Surin, Alexis Tsoukias, « Plateformes numériques, algorithmes et société : explicabilité et effets sur PandHeMic », Synthèse des échanges entre les groupes de travail Plateformes et risque algorithmique et Surveillance et pouvoir, 31 octobre 2019, en ligne.