Coordination : Clément Marquet (CSI, Mines Paris / PSL, i3) et Sophie Quinton (Inria Grenoble).
Depuis quelques années, les conséquences environnementales des technologies numériques font l’objet d’une attention croissante1 remettant en cause la promesse d’une convergence entre transition écologique et transition numérique. Si ces alertes ne sont pas tout à fait nouvelles2, elles n’ont attiré que récemment l’attention des instances politiques françaises3. Cet intérêt des politiques publiques se manifeste alors que l’État et les acteurs économiques investissent massivement dans des projets numériques de grande envergure tels que la 5G, l’intelligence artificielle, le véhicule autonome, l’Internet des objets. Autant de projets dont on ne peut anticiper avec précision les conséquences, mais qui engagent de fait une prolifération d’équipements et de données. Plus généralement, il manque encore une réflexion de fond sur les impacts environnementaux directs (besoins en énergie et en ressources, pollutions, etc.) et indirects (optimisations qui poussent à l’augmentation globale de la production et la consommation, etc.) du numérique.
Les relations qu’entretiennent les technologies numériques à l’environnement sont politiques, au sens où elles sont liées à des choix techniques et économiques effectués au nom de valeurs telles que la disponibilité, la sécurité, la rapidité, le profit… Ces choix induisent des rapports aux ressources naturelles, à la biodiversité, à la santé des êtres humains, qui sont peu visibles aux utilisateur·trices en raison de la facilité apparente avec laquelle l’information circule et de l’utilisation d’un vocabulaire organisé autour de la dématérialisation, du cloud, etc.
Ce groupe de travail mène une réflexion interdisciplinaire sur la façon dont les technologies numériques encorporent et naturalisent un certain rapport à l’environnement, et donc des politiques environnementales. Cet exercice est un préliminaire indispensable à toute mise en place de politiques efficaces pour limiter l’empreinte environnementale du numérique. Il nécessite une approche interdisciplinaire et systémique, associant géographes, historien.nes, informaticien.nes, juristes, philosophes, politistes et sociologues. Il s’agit de prendre en compte les multiples intrications des relations entre numérique et environnement en France et dans le monde, sans négliger d’y apporter une perspective historique.
Quatre grandes questions structurent les discussions de ce groupe de travail.
1. Comment les technologies numériques contribuent-elles aux crises écologiques ? Il s’agit d’une part d’analyser les dynamiques par lesquelles le développement des infrastructures numériques, des usines de fabrication, des sites d’extraction ou des filières de récupération de déchets (dés)organise les territoires. Nous étudierons d’autre part les effets indirects du développement des technologies numériques, en particulier celles qui permettent de lever des limites structurelles à notre production et notre consommation, et donc d’accroître la pression exercée sur les ressources naturelles et les pollutions qui lui sont liées.
2. Comment les technologies numériques participent-elles à renouveler nos façons d’appréhender les changements environnementaux et d’agir à leur égard ? Les technologies numériques jouent aujourd’hui un rôle central dans la production des métriques et des informations qui permettent de mieux comprendre la crise environnementale. Cet axe s’intéresse donc aux pratiques d’évaluation et de mesure (encapacitation citoyenne, usage d’indicateurs chiffrés dans les politiques de prévention voire de régulation des impacts environnementaux), afin d’interroger leur pertinence et leur utilité pour l’action – au regard de la contradiction inhérente entre, d’une part, la prolifération infinie des données et des équipements numériques et, d’autre part, l’objectif de prise en compte des limites planétaires dans nos choix de société.
3. Comment les préoccupations environnementales contribuent-elles à façonner les technologies ? Cet axe questionne les pratiques de conception et les politiques publiques prenant en compte des préoccupations liées à la “sobriété numérique”. Il s’agit d’aborder deux perspectives complémentaires : d’une part, les modalités de régulation du développement technologique qui permettrait de limiter les désastres écologiques, d’autre part, les perspectives de conception matérielles et logicielles qui permettraient de faire advenir des technologies plus sobres en ressource. Nous nous intéresserons enfin aux controverses sur les conséquences environnementales du numérique, depuis les politiques d’acceptabilité technologique jusqu’aux discours techno-critiques.
4. Comment repenser la recherche, l’enseignement et la vulgarisation des sciences de l’informatique dans un monde marqué par la crise écologique ? Alors que les étudiant·es des écoles d’ingénieur alertent leurs institutions en réclamant des cours qui intègrent les préoccupations environnementales, des enseignant·es, maître·sses de conférences font le constat d’un déficit de contenu existant et d’un manque de connaissances à l’interface entre différents champs disciplinaires (économie du numérique, sociologie du numérique, histoire, philosophie, géographie etc.). Les chercheur·euses en informatique qui s’inquiètent de la finalité de leurs recherches sont confrontés au même problème. Ce groupe de travail offre donc un espace de discussion pour produire et faire circuler des contenus pédagogiques permettant de former chercheurs, étudiants et citoyens aux conséquences environnementales du numérique et à certaines pratiques plus responsables.
Ce groupe de travail entend constituer progressivement, notamment par l’organisation de séminaires, une communauté de chercheur.se.s contribuant aux études environnementales du numérique4. Pour construire cette interdisciplinarité, le groupe de travail collabore notamment avec le Groupement de service (GDS) EcoInfo5, engagé depuis 2006 dans la mesure des conséquences environnementales des TIC et la création de services visant à réduire leurs impacts négatifs au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche. D’autres objectifs et ambitions seront envisagés, au fil de l’implication des membres du groupe de travail.
1 ↑ Voir par exemple les rapports du TheShiftProject 2018 et de GreenIT 2019.
2 ↑ Flipo Fabrice, Michel Dobré, Marion Michot, La face cachée du numérique, Montreuil, Éditions L’échappée, 2013.
3 ↑ En 2020, le Sénat a lancé une mission sur l’empreinte environnementale du numérique qui, selon Hervé Maurey, président de la commission, « n’a pas encore fait l’objet de travaux parlementaires et qui donne lieu à une prise de conscience progressive ». Parallèlement, le Conseil national du numérique et le Haut Conseil pour le climat ont été saisis par Élisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire et Cédric O, secrétaire d’État chargé du Numérique, en vue de l’élaboration d’une feuille de route au double objectif : « réduire l’empreinte environnementale du numérique afin de créer un numérique durable et faire du numérique un levier pour la transition écologique et solidaire ».
4 ↑ Ensmenger Nathan, “The Environmental History of Computing”, Technology and Culture, 2018, 59, 4S, p. S7-S33 ; Shriver-Rice Meryl, Hunter Vaughan, “What is Environmental Media Studies”, Journal of Environmental Media, 2020, 1, 1, p. 3-13.
Clément Marquet est assistant de recherche en sociologie au Centre de sociologie de l’innovation de Mines Paris – PSL. Ses recherches portent sur la matérialité du système technique numérique. Mobilisant les méthodes et théories des études sociales des sciences et des techniques, il s’intéresse d’une part, aux tensions politiques, sociales et environnementales provoquées par le déploiement des infrastructures du numérique (data centers, câbles sous-marins), d’autre part, aux enjeux politiques et marchands des méthodologies employées dans la mesure de l’empreinte environnementale du numérique.
Sophie Quinton est chargée de recherche à l’Inria (Institut national de recherche en informatique et automatique) et membre du GDS EcoInfo. Experte en vérification de systèmes embarqués, proche de la R&D dans l’industrie automobile, l’urgence écologique l’a amenée à prendre du recul sur ses activités de recherche, et plus généralement sur le rôle du chercheur dans notre société. Elle s’intéresse désormais aux effets directs et indirects du numérique.
2022/23
Un séminaire mensuel est organisé chaque troisième jeudi du mois, de 14h à 16h.
25.11.2022
Journée d’étude Communs numériques et transition écologique coordonnée avec le groupe de travail Politiques des communs numériques.
2021/22
Le séminaire mensuel, commencé en septembre 2020, se poursuit. Il est organisé chaque troisième jeudi du mois, de 14h à 16h.
19.10.2021
Présentation du GdT Politiques environnementales du numérique lors des Journées du CIS.
18.3.2022
Journée d’étude Décolonialiser le numérique ? coordonnée par Laurence Allard (IRCAV, Lille3), Clément Marquet (Ifris, Costech, GDS EcoInfo) et Élisabeth Peyroux (Prodig, Paris 1) et le réseau Approche Critique du Développement Durable.
2020/21
Un séminaire mensuel est organisé chaque troisième jeudi du mois, de 14h à 16h.
20.1.2020
Réunion avec 18 participant·es pour construire les objectifs du groupe. Entre janvier et juin 2020, des questionnaires et sondages ont permis de définir le programme et les objectifs du groupe.
24.9.2020
Atelier en format “portes ouvertes” aux intéressés, avec présentation/discussion pendant les journées du CIS. Présentations de Sophie Quinton et Clément Marquet.
27.1.2021
Journée d’étude Le numérique face à la transition écologique coordonnée par Clément Marquet (IFRIS-Costech) et Élisabeth Peyroux (CNRS-Prodig).
12.2.2021
L’impact environnemental du numérique, Recherche en cours sur Aligre FM avec Sophie Quinton et Clément Marquet. Le podcast est disponible en ligne.



Sélection de publications des membres
Allard L., Monnin A., Nova N., 2022. Écologies du smartphone, Le bord de l’eau, 216 p. Résumé
Flipo F., 2021, La numérisation du monde. Un désastre écologique, L’Échappée, 160 p. Résumé
Monnin A., Landivar D., Bonnet E., 2021. Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Éditions Divergences, 150 p. Résumé
Flipo F., 2020, L’impératif de la sobriété numérique. L’enjeu des modes de vie, Éditions matériologiques, 406 p. Résumé
Nova N., Roussilhe G., 2020. Du low tech numérique aux numériques situés. Sciences du design, 1/11, p. 91-101. Résumé
Carnino G., Marquet C., 2018, « Les data centers enfoncent le cloud : enjeux politiques et impacts environnementaux d’internet », Zilsel, vol. 1, no 3, p. 19-62. Résumé
Marquet C., 2018, « Ce nuage que je ne saurais voir. Promouvoir, contester et réguler les data centers à Plaine Commune », Tracés, vol. 2, no 35, p. 75-98. Texte intégral
Musiani F., 2018, “Quando il peer-to-peer si ‘ricentralizza’. Vincolo socio-tecnico, spinta di mercato o fallimento?”, in Gabriele Balbi et Paolo Magaudda (eds.), Fallimenti digitali. Un’archeologia dei ‘nuovi’ media, Milan, Unicopli, p. 109-122. Résumé
Flipo, F., Dobré M., Michot M., 2013, La face cachée du numérique. L’impact environnemental des nouvelles technologies, Éditions L’Échappée. Texte intégral
Flipo F., Deltour F., Gossart C., Dobré M., Michot M., Berthet L., 2009, Projet Ecotic, rapport final. Technologies numériques et crise environnementale : peut-on croire aux TIC vertes ? [Rapport de recherche] Fondation Télécom. Texte intégral
Flipo F., Boutet A., Draetta L. et Deltour F., 2007, Écologie des infrastructures numériques, Paris, Hermès Science. Résumé | Texte intégral du rapport de projet (pdf)